SOMMAIRE
Comment définir la précarité énergétique ?
Un concept récent pour une problématique ancienne
Si les Britanniques ont, dès les années 70, créé le concept « fuel poverty », en France, son équivalent, la précarité énergétique, a mis du temps à apparaître. Cette notion est devenue officielle à compter de juillet 2010 (!) depuis son inscription dans la loi Grenelle 2.
C’est d’ailleurs cette même loi qui offre une définition de la précarité énergétique : « Est en situation de précarité énergétique, une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ».
En d’autres termes, il s’agit des ménages qui doivent faire un choix : se chauffer convenablement pour ne pas avoir froid au risque d’impayés OU ne plus se chauffer et subir le froid durant l’hiver.
L’ONPE (Observatoire national de la précarité énergétique) : l’organisme à suivre
Le concept de précarité énergétique peut sembler nébuleux, c’est pour cette raison qu’un organisme chargé d’analyser le phénomène a été mis en place le 1er mars 2011 : l’observatoire national de la précarité énergétique ou ONPE.
Deux fois par an, l’ONPE publie un tableau de bord pour faire le point sur la situation en France, et ce, grâce à trois indicateurs dont les données sont recueillies par un autre organisme bien connu pour sa fiabilité : l’INSEE (et plus particulièrement via l’Enquête nationale logement).
Les indicateurs retenus pour observer la précarité énergétique en France
Ces indicateurs offrent une vue d’ensemble complète et nuancée de la précarité énergétique. Cela permet ainsi d’identifier les ménages en difficulté et de créer les aides de manière plus efficace. Au-delà des aspects financiers, ils se concentrent aussi sur les conditions de vie réelles des personnes concernées.
Précarité énergétique : qu’en disent les chiffres ?
Pour cette partie, nous nous sommes exclusivement appuyés sur l’édition de juin 2024 de l’ONPE afin de vous présenter les chiffres les plus fiables et les plus récents possibles.
Une « épidémie » qui touche plusieurs millions de Français
Commençons par deux chiffres chocs sur le sujet :
- 2 millions de Français sont en situation de précarité énergétique en 2022 (en s’appuyant sur l’indicateur TEE).
- 26 % des Français ont souffert du froid à leur domicile durant l’hiver 2022-2023.
Parmi eux, plusieurs groupes sont plus spécifiquement touchés par cette souffrance liée au froid :
- les moins de 35 ans (pour 42 %) ;
- les agriculteurs et exploitants agricoles (pour 55 %) ;
- les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (pour 37 %) ;
- les locataires (pour 35 %) ;
- les personnes vivant en appartement (pour 31 %).
Souffrir du froid…
Être en situation de précarité énergétique, c’est, comme nous l’avons vu précédemment, avoir froid durant l’hiver. Dans la très grande majorité des cas (42 %), c’est pour des raisons financières : l’utilisation des radiateurs est limitée afin de parer à une facture d’énergie trop conséquente.
D’autres raisons ont également été évoquées :
- la mauvaise isolation du logement (pour 34 %) ;
- l’envie de participer à l’appel à la sobriété (pour 24 %) ;
- la rigueur de la météo (pour 21 %).
… mais aussi du chaud
Si on parle principalement de la souffrance liée au froid, il ne faut pas pour autant oublier celle liée à l’excès de chaleur durant l’été. Eh oui, cela fait aussi partie de la précarité énergétique !
Ainsi, 55 % des Français ont eu trop chaud chez eux pendant l’été 2023, et tout particulièrement les ménages de 45 ans à 54 ans (pour 61 %), les locataires (pour 63 %) et ceux vivant en appartement (pour 62 %). Ce sont, pour les ¾, les mêmes qui ont souffert du froid durant l’hiver.
Bien évidemment, la région est aussi un critère important : le Sud-Est (pour 65 %) et le pourtour méditerranéen (pour 63 %) restent les zones les plus concernées… car plus souvent sujettes à la canicule.
Moins consommer d’énergie…
De plus en plus de Français choisissent de réduire le chauffage chez eux pour limiter la facture d’énergie : c’est le cas de près de 80 % des ménages (!). Cette proportion grimpe même jusqu’à 86 % dans le Sud-Ouest. Et pour cause, il s’agit sans conteste d’un sujet de préoccupation majeur pour tous au vu de l’inflation et de la hausse conséquente des prix de l’énergie en France.
Pire, les difficultés à payer les factures d’électricité et de gaz continuent de croître : nous sommes passés de 27 % des Français en 2022 à 31 %. Les plus jeunes (moins de 35 ans) restent les plus fragiles : 55 % d’entre eux déclarent avoir du mal à régler leur dû.
… ou ne plus payer ses factures d’énergie
Certains ménages n’ont plus le choix : ils n’ont plus les moyens de régler leur facture. Et ils sont de plus en plus nombreux puisque l’augmentation du nombre d’interventions pour impayés a grimpé de 3 % par rapport à 2022, et de +49 % par rapport à la situation avant COVID en 2019 !
Quels sont les facteurs de la précarité énergétique ?
Le phénomène n’est pas nouveau, mais il fallut du temps pour mettre le doigt sur les causes de la précarité énergétique. Et ces dernières sont multiples et transverses.
La météo
En toute logique, les conditions météorologiques jouent un rôle important dans la précarité énergétique. L’été 2022 a été le deuxième le plus chaud en France depuis 1900, un record qui, forcément, entraîne plus de souffrance liée à la chaleur. Quant à l’hiver 2022, il a été relativement clément (contrairement à ceux des années précédentes) ce qui influence directement l’indicateur « Ressenti au froid ».
Pour autant, les Français, craignant de ne pas pouvoir payer leurs factures d’électricité du fait de l’inflation galopante et de la baisse progressive du bouclier tarifaire, ont souvent recours à la restriction volontaire… et ce, quelles que soient les températures extérieures.
Les faibles ressources des ménages
Plus le ménage a de faibles revenus, plus le risque d’être touché par la précarité énergétique est élevé. Et le dilemme est toujours le même : se chauffer et devoir payer (quand c’est possible) des factures d’énergie salées, soit baisser ou couper le chauffage et souffrir du froid.
Grâce aux indicateurs de précarité énergétique de l’ONPE, des profils types ont pu être établis :
- Selon le TEE : il s’agit plutôt des personnes seules, souvent âgées (quasiment la moitié ont plus de 60 ans) et retraitées. Les chômeurs, les étudiants et les femmes sont également une population « à risque ».
- Selon l’indicateur Bas revenus/Dépenses élevées : il s’agit plutôt ici des foyers composés de plusieurs personnes (entre 2 et 3), plus jeunes que celles mises en lumière par le TEE (49 ans en moyenne). Chômeurs, familles monoparentales et femmes r estent encore surreprésentés. Généralement, ce sont des ménages locataires (dont 30 % sont dans le parc social) et leur facture d’énergie est au-dessus de la moyenne nationale (1 700 € contre 1 500 €).
Dans les deux cas, on retrouve des personnes fragilisées financièrement, voire en situation de précarité financière. Pour avoir plus d’informations chiffrées sur le sujet, n’hésitez pas à lire l’article « Quantifier et caractériser les ménages en précarité énergétique ».
La hausse des coûts de l’énergie
Ces dernières années ont été marquées par une augmentation fulgurante du prix de l’énergie et les Français peinent à absorber ces hausses ce qui engendre naturellement une plus grande précarité énergétique.
Il nous semble important de revenir sur les raisons de cette hausse des coûts de l’électricité notamment. Et en la matière, une date s’impose : le 1er février 2024. À partir de ce jour, l’accise sur l’électricité passe de 0,1 centime à 2,1 centimes d’euros du kWh (hors TVA) pour l’ensemble des Français, et ce, qu’importent leur fournisseur d’énergie et le type de contrat souscrit. Si cela peut sembler insignifiant, en réalité, ces quelques centimes se transforment en plusieurs dizaines, voire quelques centaines d’euros à l’année.
À cela s’ajoute, toujours au 1er février 2024, la levée progressive du bouclier tarifaire mis en place par le Gouvernement depuis 2021 afin de limiter, à l’époque, la hausse des coûts du fait de la crise énergétique. L’électricité reviendra à son prix « normal » en février 2025.
Si vous souhaitez mieux comprendre comment est fixé le tarif de l’électricité, cet article officiel dédié au sujet répondra à toutes vos questions.
Les logements énergivores : les fameuses passoires thermiques
Vivre dans un logement mal isolé, c’est souffrir du froid même avec le chauffage allumé puisque la chaleur s’échappe par les murs, les fenêtres, le sol et le toit. Pas étonnant donc que ceux qui y habitent soient en situation de précarité énergétique ! Mention spéciale aux « passoires énergétiques » qui représentent encore près de 5 millions de résidences principales…
Étiquetés F et G au DPE, ces logements énergivores sont un véritable fléau. En France, il s’agit principalement des biens immobiliers construits avant 1975, à l’époque, aucune réglementation liée aux performances énergétiques des bâtiments étant mise en place. Les logements « passoires thermiques » sont les mêmes qui se transforment en logements « bouilloires » difficiles à faire refroidir pendant l’été.
Vivre dans une passoire thermique, c’est :
- Payer des consommations d’énergie anormalement élevées pour la superficie du logement, le nombre de membres composant le foyer et la température intérieure désirée. Un logement consomme normalement environ 110 kWh/m²/an en gaz ou électricité quand une passoire énergétique en consomme 330 !
- Ressentir une sensation de froid l’hiver, même avec un chauffage poussé au maximum de ses capacités.
- Avoir certaines pièces difficiles, voire impossibles à chauffer.
- Ne pas parvenir à faire baisser la température la nuit durant l’été et vivre dans une véritable fournaise.
- Voir apparaître des traces d’humidité, des champignons sur les murs et les plafonds, et observer la condensation (quand ce n’est pas du givre) sur les vitres.
C’est pour cette raison que depuis le 1er janvier 2023, il est désormais interdit de louer un logement noté F ou G au DPE. La réalité est pourtant tout autre…
Quelles sont les conséquences de la précarité énergétique ?
L’Anah (Agence nationale de l’habitat) compare la précarité énergétique à un vrai cercle vicieux. En effet, les conséquences sont nombreuses et peuvent être dramatiques.
Des conséquences financières
Les ménages en situation de précarité énergétique n’ont pas beaucoup d’options : soit ils limitent le recours au chauffage (ce qui entraîne d’autres conséquences désastreuses, notamment au niveau de la santé), soit ils voient leur facture d’électricité ou de gaz flamber. Dans ce dernier cas, et comme nous l’avons vu avec les chiffres de l’ONPE, les difficultés financières s’accumulent et ils rentrent alors dans une logique de privation.
Pour payer les factures, une seule solution : rogner sur d’autres budgets (logement, alimentation, loisirs, éducation, vêtements, etc.) qui sont pourtant tout aussi importants. Et lorsque ce n’est plus possible, c’est l’endettement, voire le surendettement…
Des conséquences sur la santé au sens large
Un logement mal aéré, froid et humide, et c’est l’état de santé des occupants qui trinque ! Fatigue (le corps utilise beaucoup de calories pour maintenir sa température), rhume et angine, irritations oculaires, problèmes respiratoires, crises d’asthme, bronchite, anxiété et même dépression… Des études ont établi des liens de causalité entre certaines pathologies et les passoires énergétiques.
Tout cela représente un véritable coût pour la société. Selon l’ONPE, en cas de maladie, ce n’est pas moins de 135 000 € par personne qu’il faut compter !
À lire : « La précarité énergétique affecte la santé physique et mentale ».
Des conséquences sociales
Sentiment d’injustice, difficulté à assurer un niveau d’hygiène correct (pas simple de se laver tous les jours quand l’eau est glacée et qu’il faut si froid à l’intérieur), activités statiques difficiles (les devoirs par exemple) et bien sûr, isolement social (délicat d’accueillir des invités dans un logement dégradé où il fait froid)… C’est l’ultime étape de l’engrenage de la précarité énergétique.
Des conséquences collatérales
La précarité énergétique a un impact également sur d’autres domaines :
- La sécurité des membres du foyer : pour faire des économies, certaines personnes optent pour des chauffages d’appoint comme un poêle à pétrole ou à gaz. Mais ces derniers augmentent considérablement le risque d’incendie et/ou d’intoxication au monoxyde de carbone.
- Le logement en lui-même : les habitations supportent mal le manque de chauffage et d’aération, car cela entraîne une forte humidité. Et qui dit humidité, dit détérioration rapide (en quelques années) du bien et insalubrité.
- L’environnement : parce qu’ils rejettent de fortes émissions de CO2 et qu’ils gaspillent l’énergie en la laissant s’échapper, les passoires thermiques ont un impact sur la préservation de l’environnement.
Comment lutter contre la précarité énergétique : une multitude d’aides
Face à cette problématique complexe, les gouvernements successifs ont mis en place un certain nombre de dispositifs. La lutte contre la précarité énergétique se déroule sur deux axes : aider les ménages à améliorer les capacités thermiques de leur logement et les aider à payer une partie des factures d’énergie.
Les aides à la rénovation énergétique des logements
Sur notre site, nous avons un article entièrement dédié aux aides à l’amélioration de l’habitat.
Il nous semblait cependant pertinent de mettre en exergue les trois dispositifs les plus importants en la matière :
- La prime MaPrimeRénov : destinée aux particuliers qui veulent effectuer des travaux de rénovation énergétique (isolation des murs ou de la toiture, changement de chauffage, audit énergétique, etc.), elle permet de recevoir en moyenne 3 841 € d’aide.
- Les Certificats d’économie d’énergie (CEE): proposés par les fournisseurs d’énergie, ils peuvent prendre différentes formes (primes, bons d’achat, réductions sur les travaux de rénovation énergétique, etc.), mais permettent toujours de financer des travaux comme l’isolation des murs, des toits, des fenêtres, l’installation de systèmes de chauffage performants ou encore l’intégration de sources d’énergie renouvelables. Leur montant varie en fonction des revenus du ménage et de la nature des travaux à réaliser.
- L’éco-prêt à taux zéro (PTZ): comme son nom l’indique, il s’agit d’un prêt sans intérêt dédié aux projets écologiques, dont la rénovation énergétique des logements. Son montant peut atteindre 50 000 € et aucune condition de ressources n’est exigée.
Les aides au paiement des factures d’énergie
Les dispositifs pour payer les factures d’électricité et de gaz sont relativement limités :
- Le chèque énergétique : spécialement dédié au règlement des factures, il peut aussi être utilisé pour financer des travaux de rénovation. Son montant varie entre 48 € et 227 € selon la composition du foyer et les ressources dudit foyer.
- Le Fonds de solidarité pour le logement (FSL) : ce dispositif est destiné aux ménages en difficulté pour accéder ou se maintenir dans un logement. Il peut ainsi couvrir divers frais, du déménagement aux frais d’agence, en passant par les impayés de loyer et bien sûr… les factures d’énergie ! Les montants, critères d’admission et modalités dépendent de chaque département.
- Les aides locales et régionales : certaines localités proposent des chèques énergie complémentaires comme l’Île-de-France ou l’Eure. N’hésitez pas à vous rapprocher d’une assistante sociale ou de votre mairie pour savoir si un dispositif similaire est mis sur pied chez vous.
Les actions individuelles pour faire des économies d’énergie
Enfin, terminons ce long article par quelques recommandations de bon sens pour baisser votre facture d’énergie :
- Diminuez le thermostat de votre chauffage lorsque vous partez de chez vous (à 16 °C par exemple).
- Réglez le chauffe-eau sur 55 °C.
- Fermez les robinets mitigeurs en position froid.
- Privilégiez le programme éco de votre machine à laver et/ou votre lave-vaisselle.
- Utilisez vos appareils électriques en dehors des heures de pointe.
Crédit photo : © Liudmila / Adobe
Depuis 2019, je dédie ma plume aux aides sociales et aux démarches administratives. Mon objectif : vous offrir un maximum d’informations, tout en vulgarisant ce que j’aime appeler « le langage Caf ». Pour que chacun puisse bénéficier des prestations auxquelles il a droit !